Colles et résines en restauration d’instruments de musique: une brève introduction pratique
Jean Louchet
A côté de la physique des instruments de musique, il est utile de s'intéresser aussi à la chimie des instruments. Il ne s'agit pas d'une science exacte, mais j'ai essayé de rassembler des informations provenant de la documentation industrielle, de discussions avec des fabricants et des restaurateurs d'instruments, et de mon expérience personnelle.
Qu’est-ce qu’une colle, qu’est-ce qu’une résine?
La principale différence entre colle et résine concerne le degré et la nature de l’interaction avec les surfaces.
Collage ou remplissage?
Les résines pures (non chargées) ne résistent bien qu'à la compression. Elles ont une faible résistance au cisaillement et à la traction.
Les colles résistent à la traction et bloquent la propagation des fissures.
Pour résister à la traction, une colle doit établir des liens chimiques à l'échelle moléculaire avec le substrat. Lors de l'application, la colle interagit avec le matériau. Cela lui confère une plus grande adhérence mais, d'un autre côté, cela ralentit son étalement sur la surface du joint et dans les fissures.
Même à viscosité égale, de manière générale une résine aura moins d’interaction microscopique (chimique) avec le matériau et sera ainsi capable de “couler plus loin”, et donc aura une pénétration (macroscopique) meilleure, plus profonde qu’une colle, et assurera un meilleur remplissage. De plus, la faible tension superficielle joue un rôle au moins aussi important que la fluidité : les résines à faible tension superficielle iront plus loin dans les fissures et sont préférables pour le remplissage.
pénétration macroscopique (par exemple dans une fissure) et capacité de remplissage |
pénétration microscopique (niveau moléculaire) et résistance à la traction |
|
résine |
bonne |
médiocre |
colle |
médiocre |
bonne |
Colles animales et végétales
Les colles et résines naturelles végétales et animales sont normalement utilisées, soit uniquement dans les vernis (gomme-laque, sandaraque, gomme élémi, mastic en larmes, copal, etc.), soit comme composants de colles ou de liants de peintures (gomme arabique ou gomme d'acacia du Sénégal, amidon, os, nerf, peau, poisson, œufs - blanc et jaune).
La colle de peau est bon marché, très prisée pour la peinture et s’utilise à chaud. C'est l'un des ingrédients traditionnels, par exemple pour la décoration des tables d'harmonie des clavecins. Elle rend le processus de décoration plus rapide et plus facile, car elle est appliquée chaude et chaque couche se "fige" en gelée en quelques secondes lorsqu'elle est refroidie par le bois froid, de sorte qu'elle peut être recouverte presque immédiatement d'une couleur différente sans mélange indésirable. Le peintre prépare la couleur en mélangeant des pigments, puis prélève un peu de colle chaude avec un pinceau chaud et prélève immédiatement un peu du mélange de pigments avec le même pinceau - la peinture (en fait, la peinture est un mélange de colle et de pigments) est créée sur le pinceau lui-même et immédiatement utilisée. Elle garde une certaine souplesse après séchage, ce qui la rend parfaite pour la décoration de pièces qui vont se déformer (les tables d’harmonie, justement).
La colle d’os s’utilise à chaud. Elle est rigide, voire cassante si elle est utilisée seule. L a colle de nerf s’utilise aussi à chaud, est flexible et relativement pénétrante. C'est un bon choix pour le placage à grande échelle, en particulier sur les surfaces courbes, car (toujours appliquée chaude sur le substrat), une fois le placage plaqué dessus elle devient presque immédiatement étanche à l'air et aide le placage à rester de lui-même sur le substrat sans nécessiter de presses; le placage peut être repositionné pendant un certain temps. La colle de luthier est typiquement un mélange de colle d'os (2/3) et de colle de nerf (1/3), ou d'os et de peau dans des proportions variables. Une colle de luthier de bonne qualité présente la meilleure résistance mécanique pratique disponible pour l'assemblage du bois. En outre, on peut faciliter sa pénétration dans les joints difficilement accessibles en préchauffant le bois, par exemple à l'aide d'un pistolet à air chaud. Certains ajoutent au mélange une petite proportion de colle de poisson (voir ci-dessous). Elle n’atteint ses pleines qualités mécaniques que si les pièces de bois sont parfaitement en contact.
L’animal a aussi son importance. Les bonnes colles d’os et de nerf comme l’excellente GT58 de Rousselot (l’Isle sur la Sorgue) sont issues de bovins. Hélas certains détaillants pourtant connus proposent (parfois sous le même nom) des colles aux qualités inférieures, issues de porc. Si votre colle mousse (écume) ou a une odeur forte, c’est un mauvais signal !
Finalement, nous suivons la nature: une colle majoritairement d’os est adaptée à l’assemblage de pièces très rigides (structures); on augmentera la proportion de colle de nerf pour les assemblages plus souples et qui vont se déformer (lutherie), et la peau pour l’extérieur. Toutes ces colles animales sont vendues en plaques sèches, en poudre ou en grains : conservées au sec dans des récipients fermés, elles doivent être dissoutes dans de l'eau et maintenues au chaud dans un pot pour être utilisées. Une fois dissoutes, elles ont un temps de conservation court.
Il existe toutefois des cas où une colle à froid est plus adaptée qu'une colle à chaud. La gomme arabique (ou gomme du Sénégal, extraite de la sève d’acacia) possède des qualités mécaniques très médiocres (elle devient cassante une fois sèche) mais est bon marché, facile d’utilisation, soluble à l’eau, réversible et même comestible. On peut s’en procurer dans les épiceries indiennes et pakistanaises, car elle sert à épaissir les sauces. Je la recommande en particulier aux parents de jeunes enfants pour remplacer les “colles blanches d’écolier” qui sont toxiques.
L’oeuf est un ingrédient intéressant. Le blanc (que l’on peut aussi trouver séché en poudre dans les supermarchés anglais, ce qui est pratique si on fait la cuisine loin de son atelier) n’a pas de qualités mécaniques exceptionnelles, on ne peut pas l’utiliser pour des collages structurels, mais il est une excellente alternative à la gomme arabique ou à la colle d'amidon (eau de cuisson de riz), par exemple pour la pose d’étiquettes, ou les papiers de décoration des clavecins flamands. C’est une colle totalement réversible, comme la gomme arabique.
Comme toujours, il est important de ne pas utiliser de pinceau à virole en acier car la moindre trace de fer donnera à la longue des taches brunes sur le papier. Il faut une virole en laiton (rouge ou jaune), en plume et fil (de laiton) ou à défaut, en plastique.
Le jaune d’oeuf, avec ou sans blanc, est utilisé comme liant gras de peinture. Son séchage est très lent, le résultat est presque irréversible (résiste bien à l’eau) et garde de la souplesse. Pour ma part je préfère utiliser la colle de peau comme liant de peinture, mais les deux écoles co existent. On utilise parfois aussi le jaune d’oeuf comme mixion à dorer.
Pour les collages structurels, l’oeuf ou la gomme arabique ne conviennent plus. Parmi les colles à froid, on se tourne d’abord vers la colle de poisson, obtenue à partir d'arêtes de poisson, qui donne une liaison assez rigide mais très solide et fiable. Elle est disponible dans le commerce sous forme liquide, avec une viscosité similaire à celle du miel frais. Elle était jadis commercialisée en France (et l’est encore en Angleterre) sous le nom commercial de “Seccotine” mais on en trouve facilement dans toutes les boutiques spécialisées. C’est une colle réversible, non toxique, qui reste très soluble à l’eau, mais qui colle presque tous les matériaux (bois, métal, de nombreux plastiques…).
La deuxième solution est la colle de peau à froid, qui peut être achetée toute prête, qui a un long temps de prise, une grande résistance des assemblages et qui, une fois sèche, est difficile à différencier de la colle de peau à chaud traditionnelle. Le processus de fabrication industrielle comprend l'ajout d'urée à la colle de peau, afin qu'elle reste liquide (comme du miel frais) à température ambiante. Le résultat est similaire aux colles chaudes traditionnelles en termes de chimie, d'aspect, de durabilité, sauf qu'il est plus sensible à l'humidité et sa résistance est un peu inférieure à celle des meilleures colles à chaud. Les assemblages peuvent être démontés en sécurité. Ces propriétés la rendent populaire dans la restauration d'instruments de musique historiques. Fabriquée par la société Franklin aux Etats-Unis d’Amérique, sous le nom de “Titebond Hide Glue”, elle a en Europe une mauvaise réputation imméritée: en effet sa durée de conservation est courte (12 mois à partir de l’usine, un peu plus au réfrigérateur) et comme elle est importée, on ne sait pas combien de temps elle est restée dans les hangars de Roissy ou sur l’étagère avant l’achat. Pour ma part je l’achète directement chez l’importateur et je respecte la date limite !
Une fois sèches, toutes les colles de peau, d'os, de nerf, de poisson sont solubles dans l'eau (même dans l'eau froide). Les anciens y ajoutaient parfois un peu d'huile de lin pour les rendre résistantes à l'eau, mais cela ne s'applique qu'à la peinture, car cela dégrade notablement leurs qualités mécaniques.
Un vermifuge traditionnellement utilisé est une infusion d'absinthe ajoutée à la colle. On peut également utiliser du café, la caféine étant naturellement neurotoxique pour les insectes. En peinture de décoration, l'ail est un ingrédient intéressant car il améliore l'adhérence de la colle de peau sur le bois, en particulier sur les nœuds.
Un exemple de technique de peinture traditionnelle : le Chipolin Voici une description simplifiée, la recette complète se trouvant dans le célèbre traité de Watin: • Frotter le bois avec de l'ail (comme apprêt, pour améliorer l'adhérence des couches suivantes, en insistant sur les nœuds du bois),
- Appliquer une fine couche de colle à l'absinthe, laisser sécher longtemps, • Appliquer une fine couche de colle mélangée à du blanc de Meudon ("apprêt blanc") et polir (répéter deux fois),
- Appliquer une couche de colle fine non colorée et polir,
- Colorer (mélanger la colle avec des pigments), plusieurs couches selon les besoins (effet marbre, etc.) et polir,
- Appliquer une couche transparente de colle très faible, polir,
- Vernis à l'alcool ou à l'huile.
Huile de lin
C'est le matériau de base habituel des vernis à l'huile (que l’on confectionne en y dissolvant des résines naturelles) et des peintures à l'huile (en y ajoutant des pigments). Presque toutes les huiles végétales conviennent, mais l'huile de lin est probablement la meilleure. Elles ont toutes besoin d'un siccatif (organique : térébenthine, ou minéral : poudre de pierre ponce, pigments minéraux, etc.). Pour la plupart des applications, l'huile de lin bouillie est meilleure que crue. L'huile de lin bouillie est facilement disponible en Amérique du Nord, mais parfois frelatée, les fabricants y ajoutant des siccatifs sans le mentionner sur l’étiquette. Donc en Europe, nous devons la faire bouillir à la maison et ce sera sans regrets - de préférence à l'air libre ou avec une bonne assurance incendie. Ma méthode pour vérifier la bonne température consiste à y faire une frite avec un morceau de pomme de terre, qui ne doit pas brunir mais prendre une couleur dorée plus profonde. Watin, dans son ouvrage du XVIIIe siècle intitulé L'Art du Peintre Doreur Vernisseur, explique en détail comment dissoudre les résines dans l'huile et comment fabriquer et appliquer la peinture, le vernis et la dorure.
Colles et résines synthétiques
Nous avons fait à peu près le tour des matériaux traditionnels. La chimie élargit notre choix. Il est bon de l’aborder en restant plus que jamais attentifs à l’autre aspect des choses: l’éthique de la restauration, sujet complexe et délicat que nous aborderons par ailleurs. Il faut aussi se garder des idées simplistes selon lesquelles une colle ou résine naturelle serait éthiquement bonne et une colle ou résine synthétique serait éthiquement mauvaise. Il est facile de trouver des contre-exemples. Les colles et résines synthétiques les plus courantes sont les suivantes :
- vinyliques (colles blanches)
- urée-formaldéhyde
- aliphatiques (colles jaunes)
- polyuréthane
- époxy
- polyester
- cyanoacrylate
Vinylique
La colle vinylique est généralement appelée "colle blanche". Il s'agit de la catégorie la plus répandue de colles à bois. Sa principale qualité est son faible prix. La qualité n'est pas constante en fonction de la marque, mais varie du médiocre (Henkel) au catastrophique (je ne donnerai pas de noms). Les colles vinyliques sont toutes à fuir en facture d’instruments.
Absorbant les vibrations et ayant une faible résistance mécanique elles sont à bannir des instruments de musique. La plupart des colles blanches ne peuvent pas être poncées. Un joint vinylique décollé ne peut pas être recollé correctement, même avec de la colle vinylique, sans enlever toute la colle de l’ancien joint. L'eau l'affaiblit, mais pas suffisamment pour nettoyer la surface du bois. Il est difficile de l'enlever sans endommager le bois. Elle ne peut être stockée à l'état congelé. Toxique (perturbateur endocrinien). Certaines variantes de colle vinylique restent flexibles après séchage. Elles sont souvent utilisées pour la reliure domestique ou industrielle bon marché (Flexicoll, Flexiplé). Elles sont également vendues, combinées à des pigments, sous forme de kits de réparation pour les sièges en cuir ou en vinyle - ces réparations sont plus cosmétiques que structurelles. Urée-formaldéhyde (UF)
Il s'agit d'une colle thermodurcissable. Elle résiste à l'eau et à l'abrasion. Les joints peuvent être réparés avec de la colle époxy. Malheureusement, elle se détériore rapidement dans des conditions chaudes et humides et libère des formaldéhydes toxiques. La principale utilisation industrielle est le contreplaqué (y compris le Delignit, souvent utilisé pour les sommiers de piano) et les panneaux de bois aggloméré.
Aliphatiques
Les colles aliphatiques (également connues sous le nom de "colles jaunes") constituent aujourd'hui la principale famille de colles synthétiques de haute performance utilisées dans la fabrication et la restauration professionnelles d'instruments de musique. Les deux principales sociétés impliquées dans leur fabrication sont Franklin (Titebond) et Elmer. Le nom scientifique de ces colles est : “Acétate de polyvinyle (PVA) à liaisons croisées”. Elles ont une forte adhérence et une grande résistance à la traction. Flexibles mais dures et faciles à poncer, elles transmettent les vibrations sans les absorber. Leur impédance mécanique est proche de celle du bois, et elles conviennent à la fabrication et à la restauration d’instruments. Elles sont reconnues comme non toxiques (la Titebond type III est même approuvée pour le contact alimentaire). Elles peuvent être congelées pour le stockage (contrairement à la colle vinylique).
Il existe de nombreuses variantes en termes de temps de durcissement et de résistance à l'eau. En général, dans la fabrication d'instruments de musique, les colles plus résistantes à l'eau (Titebond "type II" ou "type III”) sont peu utilisées, sauf peut-être pour les couvercles ou les piètements d'instruments. En effet le type I est moins acide (pH plus élevé) et l'acidité des types II et III peut affaiblir l'interface du bois à long terme.
Contrairement aux résines époxy, les colles aliphatiques atteignent toutes leurs qualités si le durcissement s'effectue à température modérée (10 à 25ºC).
Les types I, II, III existent aussi en versions "Extend", moins connues (disponibles en Europe depuis 2010), qui ont un temps de durcissement plus long.
Le point faible de la plupart des colles aliphatiques est la dégradation de la résistance mécanique aux températures élevées. La Titebond “type 1 Extend” fait exception (cf. tableau) : sa bonne tenue aux températures élevées en fait la colle synthétique de choix pour nos applications. Sa tenue à la chaleur est aussi bonne que celles des colles animales.
Ci-dessous, un tableau comparatif des propriétés typiques des colles aliphatiques (extrait d'un document commercial de Franklin Titebond).
Résistance à l’humidité |
Résistance à la chaleur |
Temps de prise |
Résistance à la traction à froid (PSI) |
Résistance a la traction à chaud 65 deg.C (PSI) |
pH |
|
type I “original” |
** |
* |
moyen |
3500 |
1200 |
5 |
type I extend |
** |
*** |
lent |
3500 |
3100 |
5 |
type II |
*** |
** |
moyen |
3700 |
1700 |
3 |
type II extend |
*** |
** |
lent |
3800 |
1800 |
3 |
Hide Glue |
* |
*** |
lent |
3600 |
3200 |
7 |
Polyurethane |
**** |
*** |
rapide |
3500 |
3000 |
N/A |
Comparaison de quelques colles (document Titebond)
Parmi les autres colles aliphatiques, on peut citer “Titebond II Fluo” qui contient un additif fluorescent qui permet de montrer l'excès de colle sous la lumière UV, avant le vernissage; il y a aussi les mastics aliphatiques pour bois et les colles à placage à froid (Titebond Cold Press Veneer). Ces dernières sont préférables aux colles de contact ordinaires (néoprène) car elles ne contiennent pas autant de solvants nocifs. Le site de l’importateur en France est:
Néoprène
Le néoprène est une famille de caoutchoucs synthétiques. Sous forme de colle, il est dilué dans un solvant volatil. Il est utilisé comme colle de contact: une fois les surfaces enduites, après quelques dizaines de secondes, il suffit de presser un très court instant les deux surfaces et le collage est fait. Le néoprène colle quasiment tous les matériaux, en particulier les tissus. Il conserve son élasticité et ses qualités mécaniques sur le long terme. Il laisse passer l’humidité. Chimiquement assez inerte, il est stable et donc peu toxique par contact; le revers de la médaille est qu’il est polluant car non biodégradable et non compostable.
Polyuréthane (PU)
Les colles polyuréthane ne sont pas très utilisées dans l'ébénisterie fine. La colle PU n’est pas réversible, résiste parfaitement à l'humidité et ne rampe pas, mais outre le fait que les surfaces de bois à assembler doivent être préhumidifiées pour obtenir une bonne adhérence et que les taches sont très difficiles à enlever, le principal problème est sa dilatation pendant le durcissement, qui peut parfois détruire un assemblage.
Epoxy
Deux composants : la résine et le durcisseur. La plage de température acceptable pour le durcissement est généralement large, bien qu'elle doive être vérifiée dans la documentation. La proportion des composants est généralement critique. Alors qu’une colle animale n’a toutes ses qualités que lorsque les deux pièces de bois sont parfaitement en contact l’une avec l’autre, ici avec l’époxy les joints ultraminces sont moins résistants que des joints un peu plus épais. Le choix commercial est vaste et permet de répondre à une grande variété d'applications. Le prix est élevé mais l'utilisation est facile.
Une fois polymérisé, un joint époxy devient une macromolécule unique et est parfaitement étanche. Il ne laisse pas respirer le bois et l'interface bois-colle peut être problématique dans certains cas.
Les résines époxy "pures" (bisphénols) ne sont utilisées que pour le remplissage. Les colles époxy contiennent des additifs pour améliorer la résistance à la traction (Araldite, etc.).
Pour combler des fissures longues et minces, il est recommandé d'utiliser une résine extrêmement fluide avec de bonnes propriétés de tension superficielle comme la RE4020 (cf. l’exemple ci-dessous) , combinée à un durcisseur lent. Les résines contenant des additifs de colle sont à éviter, car une colle interagit fortement avec les surfaces du matériau, ce qui ralentit sa progression. Ceci s'applique également par exemple aux trous déformés de chevilles dans un sommier de piano. Il est possible de remplir les trous dans la planche de bois à l’aide d’une résine epoxy très fluide (dose typique: 2 centimètres cube par trou de cheville), puis après quelques jours de polymérisation (prendre beaucoup de marge!) de les repercer au bon diamètre (en prenant soin de percer lentement pour ne pas faire chauffer la résine, ce qui dégraderait ses qualités). Au passage on observe parfois des communications entre trous de chevilles: la résine vient alors combler ces fissures.
Cet exemple illustre bien un aspect de la complexité des choix éthiques: lorsque la seule alternative serait le remplacement du sommier, une résine synthétique permet de conserver le maximum de matériel original. Dans tous les cas, si cela ne marche pas il sera toujours temps de penser à refaire un sommier ! De plus, le coût modéré de l’opération-résine par rapport au remplacement du sommier, permet de sauver des instruments qui sinon partiraient à la benne. Accessoirement on réutilise les chevilles d’origine.
Avec un recul d’une dizaine d’années je n’ai obtenu que de bons résultats de cette méthode utilisée à bon escient - il faut s’assurer que le sommier ait un appui suffisant, par exemple sur une traverse métallique, pour que la résine travaille en compression et non en traction ou en cisaillement.
Le colmatage de fissures longues mais plus larges (comme c'est parfois le cas sur les cordes de vieux pianos) nécessite une résine avec des additifs de colle (ici, la tension de surface n'est pas critique) qui reste flexible après le durcissement comme la RE4406, sinon le produit de colmatage et la pièce de réparation peuvent se fissurer lorsque les cordes sont mises sous tension.
Certains utilisateurs ajoutent une petite quantité d'éthanol (alcool) au mélange époxy
durcisseur: cela donne au matériau polymérisé un peu d'élasticité, mais ce procédé n'a pas à ma connaissance été testé de manière sérieuse sur les instruments de musique.
Un exemple : réparation locale d’un sommier à l'aide d'une pièce (avec l'aimable autorisation de M. Eskandar Magzub)
Ce projet expérimental de réparation concernait un piano droit dont le sommier était localement fissuré. Compte tenu de la faible valeur de l'instrument, il était hors de question de remplacer le sommier. Il s'agissait d'un terrain d’essai idéal. Cette expérience, réalisée il y a bientôt vingt ans par M. Magzub, un expérimentateur passionné, a été couronnée de succès.
L'un des problèmes du collage des bois durs est que les sèves et les résines du bois interfèrent avec la chimie de la colle. Les solvants ne sont d'aucune aide, car ils sont absorbés par le bois et empêchent l'adhérence ultérieure du joint de colle, même après une longue période suivant l'application du solvant. M. Magzub a utilisé une colle époxy spécialement conçue en Suède pour le chêne et le teck, annoncée comme capable de "fixer les bois gras de manière fiable”: “Oak and Teck Epoxy Glue” de Steve Smith.
Cette formulation de colle époxy spécifique au bois a été conçue pour absorber les résines naturelles et les sèves contenues dans le bois:
https://www.glueoakandteak.com
Cette résine particulière semble intéressante car c'est la seule colle époxy spécifique au collage du bois sans les problèmes habituels de l'interface bois-époxy. Les illustrations suivantes montrent l'évidement réalisé à la défonceuse dans la partie endommagée du sommier, puis la réparation avec la pièce installée et collée.
Un autre exemple : le remplissage des trous de chevilles déformés Afin de restaurer des trous de chevilles endommagés, il s'agit de remplir les trous avec de la résine époxy et de les repercer. Nous avons utilisé avec succès pour cette application une résine époxy très fluide, au grand pouvoir mouillant: la RE4020 de chez Ratheau, combinée à un durcisseur lent afin de laisser à la résine le temps de pénétrer dans les fissures fines:
https://www.groupe-ratheau.com/produit/resines-epoxy Pour les fissures longues, la RE4020 est trop dure après polymérisation et nous conseillons une résine plus souple (Ratheau RE4406)
Remplissage d'un sommier au RE4020 (Broadwood 1853)
Polyester
Ce produit monocomposant (à base de solvant) se rétracte au séchage et doit être appliqué en couches très fines; il nécessite une ventilation. Il faut utiliser plus de solvant (acétone) pour la première couche car le bois absorbe une partie du solvant. Il laisse passer l'humidité (est-ce bon ou mauvais ?). Largement utilisé pour les réparations cosmétiques bon marché des voitures ou les petits défauts de surface, mais déconseillé pour les instruments de musique sinon pour certaines réparations cosmétiques sur des instruments de faible valeur
Cyanoacrylate
Il s'agit d'une famille de colles que l'on trouve couramment dans le commerce. Elles sont irritantes et allergisantes et il convient de protéger en particulier les yeux. Il faut aussi éviter l'interaction avec les durcisseurs (que l'on trouve dans les colles à deux composants), car ils peuvent déclencher des réactions chimiques brutales. Il ne faut pas les utiliser avec du coton hydrophile (risque de feu). La durée de conservation est courte, mais elles peuvent être conservées plus longtemps dans un réfrigérateur, plus d'un an après ouverture pour les produits professionnels (je déconseille les cyanoacrylates de supermarché). L'adhérence est quasi immédiate (y compris sur la peau) si l'on utilise une fine couche. Ils sont efficaces sur les matériaux poreux.
Les colles cyanoacrylates sont disponibles avec différentes viscosités. Les versions en gel sont utiles pour des réparations d'urgence, par exemple sur des composants mécaniques. Le cyanoacrylate peut être mélangé à du bicarbonate de soude pour servir de charge. A l’opposé, il existe des cyanoacrylates extrêmement fluides qui sont utilisés dans la restauration des pianos pour traiter les micro-fissures. Les versions les plus fluides et pénétrantes comme l’excellente Bob Smith “Instacure” (étiquette bleue) sont aussi utilisées pour redonner de la tenue aux chevilles d’accord:
Autres résines du commerce
Il existe de nombreuses autres résines et colles disponibles dans le commerce qui peuvent être utiles au fabricant et au restaurateur d'instruments. Outre les magasins spécialisés dans les outils et matériaux pour le travail du bois, il peut être intéressant de visiter les magasins d'accastillage où il est possible de trouver des résines pour sceller, consolider et restaurer le bois :
- des résines pour sceller, consolider et restaurer le bois ;
- des résines pour prolonger la durée de vie du bois et remédier aux défaillances prématurées du vernis ou de la peinture ;
- des résines de remplissage pour restaurer les surfaces de bois décomposé; • des protecteurs de bois pour prévenir la décomposition et les dégâts causés par les insectes, et prolonger la durée de vie du bois.
Conclusion
Les principaux enseignements de ce rapide tour d'horizon sont les suivants:
- le remplissage et le collage sont deux applications très différentes qui nécessitent des produits différents,
- pour l'assemblage du bois, lorsque la résistance à l'humidité n'est pas essentielle (comme c'est le cas pour la plupart des instruments de musique d'intérieur), les colles animales sont les plus performantes, concurrencées seulement par les variétés de colles aliphatiques à durcissement le plus lent ("extend"),
- les résines époxy sont pour la plupart des produits de remplissage plutôt que des colles. Il convient de prêter attention à leur acidité, leur fluidité/viscosité, leur temps de prise et leur flexibilité. Les colles époxy sont des résines époxy avec des additifs. Le choix est vaste. Les résines époxy deviennent généralement fragiles si elles sont exposées à une température supérieure à 70 degrés centigrades. Pour la pénétration, une faible tension superficielle (grand pouvoir mouillant) est encore plus importante que la fluidité (à condition que le durcissement soit suffisamment lent).
- il faut éviter de toute façon les colles vinyliques "blanches", inutiles et nuisibles dans la restauration d'instruments de musique. La seule colle vinylique intéressante est sa version élastique, utilisée pour les réparations cosmétiques du cuir ou pour la reliure de livres facile et bon marché.
En termes d'éthique de la restauration, lorsqu'il a été décidé qu'un instrument serait remis en état de jouer, il est évident que les résines synthétiques ne sont pas "authentiques", mais elles peuvent permettre de préserver certains composants d'origine qui auraient autrement été remplacés. Il est souvent plus respectueux pour un instrument historique de le restaurer à l'aide d'un matériau synthétique moderne que d'effectuer une opération de remplacement majeure et de mettre au rebut les pièces d’origine. J'aborderai l'éthique de conservation, spécialement concernant les pianos anciens, dans un autre document.
Déclaration de conflit d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt ou intéressement aux producteurs ou distributeurs des différents produits commerciaux cités dans cet article.
Jean Louchet, juillet 2024